jeudi 30 juin 2011

Photos de famille : Un roman de l'album

Photos de familles : un roman de l'album n'est pas un énième livre sur le classement et la préservation de ses photos de famille. Il s'agit plutôt d'un essai, d'une réflexion sur ce qui fait une photo et notre rapport à elle.
L'auteure, Anne-Marie Garat, s'est toujours intéressée à l'image. Titulaire d'un DEA de cinéma, elle a publié de nombreux articles dans des revues telles que Les Cahiers du cinéma ou La Recherche photographique.  
 
 
S'il est un objet patrimonial intense, une fascinante archive populaire, livre pieux et profane à la fois, grand oublié de l'inventaire des lieux de mémoire, c'est bien l'album de famille. Ce corpus de photos d'amateurs, manifeste de la passion généalogique, jalonne plus d'un siècle de notre histoire; témoin de ses mues, il offre une chronique aussi riche que les minutiers des notaires, que les sommiers d'annales historiques, un aussi palpitant et conflictuel récit que celui du roman des origines ou de l'autobiographie.

Autour d'une quarantaine de photos, Anne-Marie Garat nous emmène sur les traces de ces inconnus, figés à jamais et que nous retrouvons, au détour d'une brocante, sous une pile de vieux linges. 
Pourquoi cet individu a été rayé de la photo, quelle est son histoire familiale pour que son visage soit définitivement effacée des mémoires ? Et ces deux-là qui ne regardent plus le photographe mais qui se tendent la main : geste délibéré ou simple coïncidence ? Que s'échangent-ils ?

Pourquoi ces photos ont été prises ? Pourquoi les regardons-nous, les gardons-nous ? L'auteure apporte ses réponses au travers de son vécu, de sa vision des hommes. 
La force de ce livre est qu'il fait également s'interroger le lecteur. Au fil des deux cent dix pages, je n'ai cessé de m'interroger. 

J'ai toujours été fascinée par les photos anciennes, machines à remonter le temps, témoins d'un passé qui m'est inconnu mais que je devine au travers d'un détail, d'un commentaire écrit au dos de la photo.
Si je m'écoutais, j'achèterais toutes les photos anciennes ou tous les albums que je peux dénicher dans une brocante. Pourquoi ? Pour donner une sépulture digne à ces inconnus qui ont, comme nous, un jour vécu. Jeter une photo équivaut à effacer toute trace de l'être.
Sur une brocante il y a peu, accompagnée de ma mère, je feuilletais un album photos. J'étais perdue dans mes pensées, admirant la robe de l'une, les bacchantes de l'autre, quand ma mère me fit cette réflexion : "Je ne voudrais pas me retrouver en photo perdue au milieu de toutes ces affaires." Quand je lui demandais pourquoi, elle me répondit qu'elle ne savait pas trop, mais que cela la mettait mal à l'aise.
A bien y réfléchir, je crois que moi aussi, je n'aimerais pas me retrouver ainsi. Il y a comme une sorte de désacralisation de la personne, de sa vie.
En poussant le raisonnement à l'extrême, on peut se demander quel est l'intérêt de prendre des photos puisqu'après nous, sauf à avoir un généalogiste dans la famille, ces photos finiront soit à la poubelle soit à traîner sur un étal dans une brocante.

Pourquoi prenons-nous des photos ? Pour partager un moment avec les personnes qui n'ont pu être avec nous ou pour nous souvenir d'un instant, d'un lieu précis ? 
Je crois que notre rapport à la photo est lié à notre rapport à la vie. Sommes-nous ici de passage, naissance - vie - clap de fin, ou souhaitons-nous laisser une trace aussi infime soit-elle ?

Je ne compte plus le nombre de photos argentiques que j'ai pu prendre, classées dans des boîtes, ni les albums photos étiquetés rangés dans mon armoire. Aujourd'hui j'aime encore les feuilleter, partager ces instants avec ma fille de sept ans; mais ensuite ? Prendra-t-elle le relais ou jettera-t-elle cette partie de moi ?

Comme le souligne Anne-Marie Garat, l'arrivée du numérique a changé le rapport qui existait entre l'homme et la photo. Elle est maintenant accessible à tous. La technologie permet de prendre toutes les vues que l'on souhaite sans se soucier des conséquences : pas de frais de développement, logiciels de retouche permettant de rattraper une photo mal exposée, ... Mais cela amène à une abondance voire une surabondance de clichés, pour quelle pérennité ?

La lecture de ce livre m'a fait réaliser que je n'imprimais plus de photos, que je ne confectionnais plus d'albums photos. Je continue à transmettre les photos à la famille ... par mail ou en ligne. Quelles traces en restera-t-il ? Les normes seront-elles les mêmes dans cent ans ? Quelles traces de leurs ancêtres auront nos descendants ?
J'ai refermé ce livre avec beaucoup de questions : que faire ? faire imprimer les photos ? lesquelles ? les indexer ? oui, mais comment ? écrire l'histoire de la photo ou laisser une ombre de mystère ? 
 
Tout comme je suis en train de repenser mon rapport à la généalogie, je comprends aujourd'hui qu'il faut que je repense mon rapport à la photographie.


Photos de famille : Un roman de l'album
Éditions : Acte Sud
Prix : 28 €



4 commentaires :

Article très intéressant.
C'est la même chose pour moi, je suis toujours mal à l'aise quand je vois des vieux albums photos vendus sur les brocantes. N'ayant quasiment aucune photo de ma famille antérieure aux années 50, je trouve dommage que ceux qui ont la chance d'avoir des témoignages aussi émouvants et parfois vieux d'un siècle les vendent pour quelques poignées d'euros, dépensées le lendemain.

Bonjour David,
Merci de votre commentaire.
Je crois que c'est notre âme d'historien familial qui parle et s'émeut lorsque nous voyons ces albums abandonnés.
Combien d'histoires non-dites qui mériteraient que l'on s'y intéresse ?
Je ne sais pas si un particulier peut déposer ses photos de familles, ses vieux albums aux archives départementales ?
Est-ce que l'un de nos amis archivistes peut nous répondre à ce sujet ?

Réflexion intéressante ... Mais avant de réfléchir sur l'évolution de notre rapport aux photos,l'auteure nous apprend-elle quel regard et quels usages avaient les générations précédentes sur les photos ? l'usage était-il d'abord familial, informatif, social ? ou avant tout personnel et affectif ?
Merci

Bonjour Valérie,
En effet, dans la première partie du livre l'auteure évoque l'histoire de l'album photo : "Le XIXe siècle institue le recensement de l'état civil, l'anonyme acquiert une identité sociale (...) la photographie emboîte le pas, achève cette conquête."
"(...)l'invention de l'album de famille, sous sa forme populaire, manifeste sans doute une conscience nouvelle, le désir obscur et impérieux d'une reconnaissance, d'une identification historique (...)"

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