mercredi 8 février 2012

Code 1891 : récit d'une enquête généalogique

photo credit: Kara Allyson via photopin cc
Samedi 4 février 2012. Les températures chutent à vue d'œil. Malgré le froid et la neige, le facteur, bien emmitouflé dans sa parka, distribue le courrier.

Lui n'entend que le bruit sourd d'une enveloppe touchant le fond métallique de la boîte aux lettres, alors que j'entends le doux son d'une épine généalogique tombant de l'arbre.
Cette épine n'a pas de visage, juste un nom, Antoine Boudarel.


Pour trouver une épine généalogique il faut un savant mélange de Gil Grissom (Les Experts) et de Lily Rush (Cold Case) : faire parler les preuves du passé en ayant une approche scientifique. Toute hypothèse doit être prouvée.

Quelles sont les informations en ma possession ?
  • Date et lieu de naissance
  • Date et lieu de mariage (avec contrat de mariage)
  • Date et lieu de naissance de ses deux filles
  • Date et lieu de mariage (avec contrat de mariage) suite au décès de sa première femme
  • Date et lieu de naissance de son fils
  • Date et lieu du mariage de son fils
  • Le contrat de son second mariage confirme les deux enfants nées en premières noces.
  • Si son premier mariage a eu lieu à Marlhes (Loire), ainsi que celui de ses trois enfants, tous les autres évènements ont eu lieu à Saint-Romain-Lachalm (Haute-Loire)
  • Le décès a eu lieu entre 1891 et 1922, années de naissance et de mariage  de son fils.
  • Sur l'acte de mariage il est seulement indiqué que le père du marié est décédé. 
Pas de lieu, pas de date, l'enquête commence.


Première phase de recherches
  • Deux lieux ressortent des évènements concernant Antoine : Saint-Romain-Lachalm et Marlhes.
  • Vérification in situ pour Saint-Romain-Lachalm et entraide généalogique pour Marlhes : Antoine Boudarel n'est pas décédé dans un de ces villages.
  • Ses enfants habitaient Marlhes, sa famille était originaire de Saint-Romain-Lachalm : où Antoine avait-il pu aller ?
  • Dans des cas comme celui-ci, il est recommandé de faire l'escargot : partir du village souche et décrire des cercles de plus en plus grands autour du village.
    • problème : la date de décès se trouve à cheval entre le 19e et 20e siècle. L'état-civil en ligne ne couvre donc pas tout.
    • à moins de frapper aux portes de toutes les mairies il faut repenser l'enquête.

Prendre du recul
  • Lorsqu'un mur se présente, il faut savoir le contourner. Il faut penser en dehors de la boîte
  • Antoine ne nous révèlera rien de plus. Il faut enquêter sur son entourage.
    • La relecture des actes concernant Marie-Augustine et Marie-Léonie, ses deux filles, ne nous apprend rien de plus.
    • Il faut convoquer Léon. Que savons-nous à son sujet ? Quels sont les documents en notre possession ?
      • ce passage en revue fait apparaître qu'il manque son registre matricule où l'état civil des parents est mentionné. Voilà une nouvelle piste.
  • Le registre matricule ouvre une nouvelle perspective : en 1901, Antoine et son épouse, Jeanne Peyrard, vivaient à Jonzieux (Malrhes)
    • Lui et sa femme étant originaires de Saint-Romain-Lachalm, pourquoi habiter Jonzieux ? La réponse se trouve dans leur contrat de mariage.
    • Les parents de Jeanne avaient une ferme à Jonzieux. Antoine avait repris la ferme de ses beaux-parents.


Deuxième phase de recherches
  • Non seulement nous avons un nouveau village à explorer mais notre échelle de temps s'est raccourcie de dix ans.
  • La consultation de l'état-civil de Jonzieux sur le site des Archives départementales de la Loire nous apprend que Jeanne est décédée le 4 février 1907.
    • son mari est toujours vivant
    • l'acte indique que Jeanne est l'épouse de André Boudarel, et non Antoine. 
    • une recherche à rebours jusqu'à la naissance de Jeanne confirme qu'il s'agit bien de la même personne et qu'elle n'a été mariée qu'une seule fois, à Antoine.
  • Bien que l'échelle du temps vient encore de se réduire de six ans, la période de recherches reste élevée (1907 - 1922). Il faut réduire cela.
  • Beaucoup de données ont été récoltées au cours de cette enquête, il est grand temps de revenir sur Antoine et de se concentrer sur sa ligne de vie.
  • Inscrire les données et les dates dans un tableau offre une nouvelle perspective.
    • Antoine et Jeanne se sont mariés en 1878
    • Léon, leur fils, est né en 1891. Treize ans se sont écoulés.
  • Hypothèse : le couple pensait ne pouvoir avoir d'enfant jusqu'à la naissance de leur fils.
  • Vérification de l'hypothèse : dépouiller l'état-civil de Saint-Romain-Lachalm depuis 1878. 
    • but : vérifier si d'autres enfants sont nés de ce mariage et compléter les informations notamment via les actes de mariages qui pourraient en découler.
  • D'enfant unique, Léon passe dans une fratrie de sept frères et sœurs. Seul l'un deux décèdera en bas âge.
    • Sur les six frères et sœurs, seul l'un d'entre eux aura son mariage indiqué en mention marginale; Jean-Baptiste marié en 1912 à Saint-Genest-Malifaux (Loire).
  • L'acte de mariage nous apprend qu'Antoine est toujours en vie et habite toujours à Jonzieux.
  • L'échelle du temps couvre maintenant une période de dix ans.

Conclusion
  • Un appel à la mairie de Jonzieux conclue l'enquête. Antoine Boudarel, fils de Claude et Catherine Royon, veuf en premières noces de Marie Lagrevol et en secondes noces de Jeanne Peyrard, est décédé à Jonzieux, en son domicile, le 16 septembre 1917.
Acte de décès Antoine Boudarel, source mairie de Jonzieux (Loire)


Epilogue
  • Par acquis de conscience j'ai vérifié l'état-civil de Saint-Romain-Lachalm entre 1869 et 1878, période du premier mariage d'Antoine. Deux autres enfants sont nés de cette union. Ils n'étaient pas indiqué dans le contrat de son second mariage car décédés (l'un à 11 jours, l'autre à 8 mois).
  • Mettre en place une ligne de vie pour vérifier la cohérence des informations et déceler d'éventuels manques.
  • Face à un mur, penser aux collatéraux directs et indirects.
  • Ne pas se reposer à 100% sur les informations inscrites dans les documents (état-civil, notariés, ...)
  • Savoir laisser reposer. Si la réponse ne vient pas maintenant, passer à autre chose. 

A lire sur La Gazette
L'épine généalogie (3 août 2010)
Penser en dehors de la boîte (11 décembre 2011)

Titre copié sur le roman de Dan Waddell, Code 1879 (Amazon.fr)

3 commentaires :

Et oui, une vraie enquête policière ! Les épines ont au moins le mérite de mieux nous faire connaître nos ancêtres ; on en sait finalement moins pour ceux dont on trouve toutes les informations trop rapidement !

@Elodie : je vous rejoints. A chercher à résoudre l'énigme nous retrouvons beaucoup plus d'informations.
L'épine généalogie a un autre avantage : celui de nous apprendre de nouvelles méthodes de recherches. La découverte est permanente.

Je trouve cette enquête d'autant plus intéressante que les étapes sont explicites (Lili Rush devrait s'en inspirer) et que les commentaires amènent à réfléchir sur sa propre méthode face à des "épines". Je retiens le côté "out of the box" et le lâcher prise afin de mieux y revenir par la suite.

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