jeudi 22 septembre 2011

Comprendre les signatures de nos ancêtres


Dans une précédente note (Au détour des actes : signature), je vous faisais part de mon étonnement concernant la signature d'un de mes ancêtres qui avait jugé bon d'ajouter pas moins de quatre E à la fin de son nom; nom qui, pour la petite histoire, s'écrit sans E !

Un des plaisirs de la recherche généalogique réside dans l'émotion que nous pouvons éprouver face à un acte écrit de la main d’un de nos ancêtres ou tout simplement face à une signature.
Ainsi, qu’elle ne fut pas ma surprise le jour où, lisant un acte d’un ancêtre de ma lignée patronymique, je remarquais que ma signature était identique à la sienne, quelques 200 ans plus tard !
Pourquoi certains de nos ancêtres ne savaient pas signer alors que d’autres si ? Pourquoi certains, sur l’acte de mariage de leur enfant signait et déclarait ne savoir le faire sur l’acte de mariage ?

Pour pouvoir comprendre ces signatures, il faut comprendre l’histoire de l’écriture et comment elle est arrivée jusqu’à nous.
 
La naissance de l’écriture
La naissance de l’écriture est située à Uruk, ville de Mésopotamie dont les premières traces d’occupation remontent à la fin du Ve millénaire avant J-C.


Uruk, tablette administrative (3100-2900 av. J-C)

A ses débuts, l’écriture ne servait pas à transcrire la parole avec toutes ses nuances grammaticales mais servait à conserver les données quotidiennes.
Telle l’écriture cunéiforme d’Ougarit, en Syrie, cette écriture n’utilisait que 22 signes, des consonnes. Les voyelles étaient rétablies d’après la physionomie des mots. Il s’agit de la première écriture alphabétique.
L’écriture cunéiforme s'est diffusée au cours du troisième millénaire dans toute la Mésopotamie et était, au deuxième millénaire, pratiquée dans tout le Proche-Orient.
Quant à l’alphabet latin, deux théories s’opposent. D’un côté, certains scientifiques pensent que l’alphabet latin vient directement de l’alphabet grec. De l’autre, certains pensent qu’il s’agit d’un héritage de l’alphabet étrusque, lui-même variante de l’alphabet grecque. Toutefois, la langue des Étrusques reste encore hermétique.
Toujours est-il que vers le IIIe siècle avant J-C est créé un alphabet latin de 19 lettres (le X et le Y ayant dû être ajoutés vers le Ier siècle avant J-C)
 
 
L’apanage des moines
Durant plus de 1000 ans, l’écriture sera l’apanage des moines. Moines qui seront à l’origine de l’art de la calligraphie.
Dès le IXe ou Xe siècle, chaque abbaye, chaque monastère possède un scriptorium. Les novices, apprentis, étaient chargés de tracer les traits sur lesquels les copistes aligneraient leurs lettres. Les meilleurs calligraphes étaient chargés des travaux soignés.
L’apparition du parchemin permit l’utilisation de la plume d’oie et aboutit à la généralisation du codex, feuillets pouvant se plier et se coudre.

Extrait d’une bible latine datant de 1407.

Dans certains cas, lorsque le monastère ne comptait pas dans sa communauté quelqu’un capable de réaliser une commande, il louait les services d’un laïc réputé pour son talent.
A la fin du XIIe siècle, le quasi monopole de l’Église en matière d’enseignement vacille. Les scribes laïcs vont peu à peu s’organiser en atelier et guildes. Ils rédigent les documents officiels de la bourgeoisie marchande, des œuvres savantes vont apparaître, tels que des traités de mathématique ou d’astronomie..
Bien que grâce à l’imprimerie, le monde de l’écrit s’ouvre peu à peu au plus grand nombre, la société française des XVIe – XVIIe siècles reste majoritairement analphabète.
 
 
L’apprentissage de l’écriture


Encyclopédie Diderot et d’Alembert – L’art d’ Écrire

Selon l’enquête menée en 1877 par Louis MAGGIOLO, recteur en retraite de l'Académie de Nancy, 63% des époux sont incapables de signer leur acte de mariage.
Il faut savoir qu’à cette époque, l’enseignement de la lecture et de l’écriture était dissocié. L’élève apprenait d’abord à lire. Une fois ce stade assimilé, il passait à l’apprentissage de l’écriture.
 
 
De l’apprentissage de l’écriture à la signature
Les toutes premières signatures sont apparues au Moyen-Âge avec le « grand seing » des notaires, dessin d’origine laïque ou religieuse apposé à une signature paraphée, le « petit seing ».
 

Encyclopédie Diderot et d’Alembert – L’art d’ Écrire
 
 

Nos ancêtres, désireux de se protéger d’éventuels faussaires, mais aussi d’imiter ceux qui savaient écrire et qui, d’un paraphe compliqué, authentifiaient leur signature, cherchèrent souvent à en faire de même. Ainsi, le plus souvent ils reproduisaient un objet propre à leur environnement professionnel, la pelle du four pour le boulanger, un ancre ou un navire pou un marin, ou encore des ciseaux pour le tailleur.

Sous Louis XI, l’artisan dessine un outil, le paysan trace une croix et le bourgeois écrit son nom. C’est une ordonnance d’Henri II, en 1554, qui mettra fin à ces paraphes : 
Ordonnons que dorénavant tous contrats et obligations quittances et actes privez, soient outre les seings des notaires, soussignez des parties qui consentiront s’ils scavent signez ou quand ils ne scavent signez, par quelqu’un d’autre homme de bien et de cognoissance a leur request

Toutefois, cette volonté sera longue à s’imposer et jusqu’à la Révolution, on pourra trouver des croix au bas des actes notariés et dans les registres paroissiaux.

Pourquoi nos ancêtres illettrés signaient d’une croix ? Il ne faut pas oublier l’importance de la religion. Symbole le plus commun et le plus facilement reproductible, la croix apparaît essentiellement comme un symbole religieux et signer d’une croix revenait à prendre Dieu comme témoin de son engagement.
Peut-on alors estimer le niveau culturel de notre ancêtre à partir de sa signature ? 
Oui. La façon de signer de notre ancêtre peut nous donner une indication de ses connaissances en écriture et/ou en lecture.

Mais, il faut garder à l’esprit que si nos ancêtres apprenaient à écrire après avoir appris à lire, ils pouvaient aussi avoir appris à signer de façon répétitive, sans connaissance de la lecture. Ainsi une signature malhabile peut indiquer que notre ancêtre ne savait pas lire.

Marguerite COURBON, rubanière (arbre généalogique)

De cette signature, nous pouvons dire que Marguerite avait une connaissance de l’écriture limitée à la signature. Il est possible qu’elle ait appris à signer de façon systématique, sans avoir de notion de lecture.









Jeanne Saisdubreil, cultivatrice (arbre généalogique)


Comme pour Marguerite COURBON, nous pouvons dire que Jeanne SAISDUBREIL avait une connaissance de l’écriture limitée à la signature.
  




Charles Duport, propriétaire (arbre généalogique)


Charles DUPORT savait lire et écrire. Une signature ornementée comme celle-ci, peut indiquer un tempérament d’artiste.











En conclusion, la position sociale a une incidence sur la pratique de la signature, et son étude peut nous permettre d’estimer la position de notre ancêtre.
Il est également important de suivre l’évolution de la signature, signe possible d’une progression sociale.



Sources
La Revue Française de Généalogie, Numéro Spécial, La Paléographie
« Abécédaire des écritures » édition Flammarion
« L’écriture mémoire des hommes » édition Gallimard
Le legs de l'Ancien Régime : l'école rare, l'analphabétisme répandu (Académie de Toulouse)

 
Pour aller plus loin
Système de cotation des signatures afin de déterminer le niveau d’instruction (Amis du Turnegouet)
Claude VALENTIN « illétéré de ce enquis » (Histoire-Généalogie)

5 commentaires :

C'est un sujet que j'ai toujours trouvé passionant! Et surtout quand ça conserne directement nos ancêtres: c'est toujours émouvant de retrouver une écriture tremblante.

@David : A défaut de photographie, la signature apporte ce petit plus à la connaissance de nos ancêtres.

Effectivement les signatures retrouvées sur les actes généalogiques nous en apprennent beaucoup sur nos ancêtres et il n'est pas rare de trouver des signatures identiques à différents étages de l'arbre généalogique.
Avez-vous une réponse pour le cas où un ancêtre déclare ne pas savoir signer au moment du mariage, puis signe un acte de naissance ? J'ai aussi ce cas dans ma généalogie. L'épouse sachant signer je m'étais dit qu'elle avait peut-être partagé sa connaissance avec son mari. Mais ce qui m'a le plus étonné c'est que les parents de l'époux savaient signer et même avec beaucoup de dextérité pour le père, dont le type de signature se retrouve d'ailleurs plus tard dans mon arbre généalogique.

@Laurence : un accident de la vie peut faire qu'un individu signe sur un acte et pas sur le suivant. Il peut aussi avoir appris entre ces deux évènements.
Vous êtes étonnée qu'un de vos ancêtres ne signe pas alors que ses parents savaient signer. J'ai un cas où le père signe, l'aîné et le benjamin signent, sauf le cadet (mon ancêtre). Pourquoi ? En dehors de supputer une éventuelle dyslexie (qui n'était pas connue à l'époque), nous resterons dans le domaine de la théorie. La généalogie n'explique pas tout, elle garde sa part de mystères, heureusement.

Merci Sophie pour cet article ! Lorsqu'on aligne les journaliers de génération en génération, on a toujours beaucoup d'émotion à voir apparaître la première trace de signature. Lorsque l'apprentissage de l'écriture est tardif, à l'age adulte, le geste reste à jamais incertain, l'automatisme ne vient pas, et sachant qu'à l'époque, on lit si peu et on n'a encore moins l'occasion d'écrire, tout ça explique ces calligraphies hésitantes !
Bonne journée !

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